"LES DEFIS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE EN COTE D’IVOIRE.
Depuis la sortie de crise de fin 2011, le revenu moyen par habitant s’est accru de près de 40 %, pour atteindre 1630 dollars en 2017, ce qui est approximativement le niveau qui prévalait au milieu des années 1980. Messages-clés : À ce rythme, le pays devrait rejoindre le groupe des économies à revenu intermédiaire en 2035, selon la définition de la Banque mondiale, avec un revenu d’environ 4300 dollars par habitant. Cette performance remarquable doit être nuancée à deux titres.
Premièrement, la forte croissance économique n’est pas encore inclusive, un fait désormais bien établi et reconnu par le gouvernement. Le taux de pauvreté n’a ainsi diminué que de 5 points entre 2011 et 2015 selon les données officielles. Mieux redistribuer les fruits de la croissance est l’un des défis majeurs de la Côte d’Ivoire.
Deuxièmement, le modèle de croissance économique doit être soutenable à long terme. L’utilisation des ressources naturelles à des fins productives ne doit pas mettre en péril les générations futures. Or, le stock de capital naturel du pays est en danger. En effet, la Côte d’Ivoire est l’un des pays avec le taux de déforestation le plus rapide au monde, au moment où les plaines côtières souffrent d’érosion liée à la montée des eaux. De plus en plus, les populations urbaines sont exposées aux dégâts matériels et sociaux causés par les inondations. La Côte d’Ivoire est en outre très vulnérable au risque climatique puisqu’elle est le 147ème pays le moins résilient sur 169.
Après avoir passé en revue l’état et les perspectives de l’économie ivoirienne, ce septième rapport sur la situation économique en Côte d’Ivoire s’intéresse donc à l’impact du changement climatique sur le pays et, surtout, explore les pistes qui pourraient permettre d’atténuer ces chocs tant à court qu’à long terme. Parce qu’il n’y a guère de temps à perdr ce rapport plaide pour une action urgente et concertée, car « l’avenir ne sera pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ».
Partie 1 : L’état de l’économie ivoirienne Ce début d’année 2018 marque une accalmie dans l’évolution de l’économie ivoirienne. Après avoir souffert d’une certaine instabilité politique et sociale lors du premier semestre 2017 et subi la chute spectaculaire du prix du cacao sur les marchés internationaux, les conditions tant internes qu’externes se sont stabilisées. Ces évolutions expliquent en partie les bons résultats économiques obtenus par la Côte d’Ivoire ces derniers mois, mais il est encore trop tôt pour conclure que ce calme va perdurer. L’économie continue son expansion rapide, avec un taux de croissance du PIB qui a frôlé 8 % en 2017. Cette performance est principalement due au secteur agricole qui a bénéficié de conditions climatiques avantageuses et de la hausse des prix (à l’exception du cacao). Si le secteur des services a continué sur sa lancée de ces dernières années, le secteur secondaire a subi une décélération en partie provoquée par le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) qui a vu un ralentissement des chantiers publics. La moindre contribution de la consommation et de l’investissement privé est peut-être le signe le plus visible que la nature de la croissance est en train de se transformer. Si, en 2015, ce secteur comptait pour 10,5 points de croissance, sa contribution a diminué à 9,3 points en 2016 puis seulement 2,9 points en 2017. Cette perte a été compensée par le secteur public et par le secteur externe. Plusieurs variables conjoncturelles semblent confirmer ce ralentissement des activités privées, comme le crédit à l’économie et l’indice du BTP. Le manque d’amélioration du climat des affaires, les incertitudes liées aux troubles sociaux du premier semestre de 2017 et les élections présidentielles prévues fin 2020 pourraient expliquer ce ralentissement.
L’ensemble des indicateurs financiers et monétaires sont restés relativement stables en 2017, à commencer par le taux d’inflation qui s’est maintenu en dessous de 1 %. La politique monétaire menée par la BCEAO est restée prudente, tirée par une expansion du crédit un peu moins rapide que lors des années précédentes. Dans son ensemble, le système financier est en bonne santé, avec une augmentation des fonds propres des banques, même si la proportion des prêts en souffrance a légèrement augmenté de 9 à 9,9 % entre 2016 et 2017. La Côte d’Ivoire continue sa révolution de la téléphonie mobile puisque 34 % des adultes détenaient un compte mobile en 2017, soit trois fois plus que ceux qui détenaient un compte auprès d’une institution financière. Sur le plan externe, la balance du compte courant s’est légèrement détériorée de 1% à 2% du PIB entre 2016 et 2017. Si la balance commerciale s’est améliorée grâce au bon comportement des exportations, notamment agricoles, la balance des services et des soldes primaires s’est dégradée. Le déficit extérieur a été aisément financé par une combinaison d’Investissements Directs Etrangers (IDE) et d’aide extérieure, ainsi que par les emprunts obligataires de l’État sur le marché des Eurobonds. La politique budgétaire a été maîtrisée en 2017 avec un déficit qui s’est avéré moins élevé que prévu de -4,2 % (au lieu de la prévision de -4,5 % du PIB), mais en hausse par rapport à 2016. L’augmentation des dépenses sécuritaires a été largement compensée par une maîtrise des dépenses d’investissement, qui ont été sous-exécutées. La gestion des finances publiques s’est aussi améliorée dans trois domaines : Cet effort a été en partie neutralisé par la réduction de la fiscalité pétrolière et cacaotière mise en place pour protéger les acteurs économiques des fluctuations des prix du pétrole et du cacao. 2. La gestion des arriérés et des paiements de l’État.
Le gouvernement a réglé le paiement des factures accumulées dans le secteur de l’électricité et, depuis début 2017, paye toutes ses factures dans les délais impartis. Il a aussi procédé aux paiements de ses arriérés à l’égard de ses fournisseurs de biens et de services pour un montant de plus de 400 millions de dollars. Enfin, l’État a également apporté un éclairage nouveau sur les transactions financières dans la filière du cacao en finançant un audit indépendant, qui a relevé des irrégularités qui ont coûté près de 300 millions de dollars au Conseil Café- Cacao (CCC). 3. La gestion de la dette publique. Avec des emprunts sur le marché international à des termes extrêmement favorables en mai 2017 puis en mars 2018, le gouvernement a pu subvenir à ses besoins de financement à des coûts raisonnables et « reprofiler » une partie de la dette existante. La dette publique est estimée autour de 46 % du PIB – ce qui représente un risque modéré, et le service de la dette absorbe moins de 15% des recettes de l’État, soit 3 fois moins que dans des pays comme le Ghana et le Togo.
La mobilisation des recettes. Les autorités ont adopté un certain nombre de réformes administratives (paiement électronique, identifiant unique, harmonisation des bases) qui ont permis d’accroître les recettes d’environ 15 % en valeur réelle entre 2016 et 2017 Les perspectives à court et moyen termes sont favorables pour l’économie ivoirienne qui devrait rester sur un sentier de croissance du PIB autour de 7-7,5 % pendant ces prochaines années. La politique d’ajustement budgétaire du gouvernement devrait faire légèrement fléchir la croissance, même si la hausse des activités du secteur privé devrait en partie compenser cet effet. En outre, le gouvernement a manifesté sa volonté d’améliorer le climat des affaires, d’accélérer ses projets de partenariat avec le secteur privé, et de promouvoir le secteur de transformation des produits agricoles. Le taux d’inflation devrait rester maîtrisé, en dessous de la norme communautaire de 3 % . La croissance de la masse monétaire devrait être contrôlée par la politique prudente de la BCEAO et la croissance du crédit bancaire rester en ligne avec celle de l’économie. Les banques commerciales devraient progressivement diversifier leur portefeuille, stimulées par les innovations technologiques, l’usage de nouveaux instruments et la concurrence accrue en provenance de la téléphonie mobile. La situation extérieure du pays devrait rester stable, avec toutefois une légère dégradation provoquée par une hausse des importations liée à plusieurs chantiers publics de grande envergure (métro d’Abidjan, 4ème pont, etc.).
Le gouvernement devrait réduire son déficit de 4,2 % du PIB en 2017 à 3 % du PIB en 2019 – en conformité avec les normes établies au sein de l’UEMOA, par un effort simultané en recettes et en dépenses. Plusieurs réformes administratives devraient accroître l’assiette fiscale afin de collecter plus de recettes. De nouvelles procédures de passation de marchés (avec l’introduction d’un système électronique) et des contrôles internes et externes renforcés devraient améliorer l’efficacité des dépenses.
L’économie ivoirienne reste toutefois vulnérable à plusieurs titres. Sur le plan externe, le risque majeur continuera d’être lié aux fluctuations des prix des matières primaires du fait de la diversification insuffisante de l’économie ivoirienne. Si le prix du cacao a pesé en 2016 puis en 2017, la hausse des prix du pétrole, qui a doublé sur les marchés internationaux au cours des 18 derniers mois, devrait obliger le gouvernement à statuer sur une éventuelle répercussion plus ou moins forte sur les prix des carburants, ce qui aurait un impact négatif sur le secteur du transport. Au niveau domestique, le climat politique pourrait se détériorer à l’approche des prochaines élections présidentielles. Une plus forte incertitude pourrait retarder les investissements et ralentir l’activité économique. Une hausse de l’agitation sociale, comme lors du premier semestre 2017, pourrait influer sur la conduite de la politique budgétaire si le gouvernement choisit de répondre favorablement à de nouvelles revendications. Au-delà de ces risques de court terme, la soutenabilité de la croissance ivoirienne repose en partie sur la bonne gestion de son stock de capital naturel. En effet, il serait contreproductif et dangereux de financer la croissance actuelle en gaspillant les réserves naturelles du pays au détriment des générations futures. La croissance récente de la Côte d’Ivoire a en partie reposé sur l’utilisation de son stock de ressources naturelles qui, selon la Banque mondiale, aurait diminué de 26 % entre 1990 et 2014. Cette perte n’est pas aussi grande que dans certains pays pétroliers (-63 % au Nigéria) ou agricoles/miniers (-32 % en Tanzanie) mais elle demeure inquiétante. Elle tranche avec la performance de pays émergents qui ont réussi à valoriser leur stock de capital naturel, comme le Brésil (+57 %) et la Thaïlande (+92 %). Si cette estimation n’est qu’un ordre de grandeur, elle est confirmée par plusieurs phénomènes visibles comme la déforestation, l’épuisement des réserves d’eau et l’érosion côtière. Au déclin du stock de capital naturel associé à la gestion de la croissance économique s’ajoutent les risques liés au changement climatique. Celui-ci peut affecter durablement et significativement le stock de ressources naturelles du pays. La prise en compte du capital naturel dans la stratégie de croissance de la Côte d’Ivoire appelle un effort des autorités à au moins trois niveaux. Premièrement, elles devraient développer un cadre analytique pour mieux évaluer l’impact de différents choix de politiques économiques sur le sentier de croissance du pays. Deuxièmement, elles devraient s’interroger sur les instruments à leur disposition pour influer sur les décisions des investisseurs tant publics que privés. Enfin, elles devraient examiner les conséquences budgétaires de ces politiques, car bon nombre de mesures ne seront pas neutres financièrement pour l’État. Partie 2 : Les défis du changement climatique en Côte d’Ivoire Si la Côte d’Ivoire souffre du changement climatique, elle peut devenir un des champions du continent africain pour adapter son économie face à ce phénomène et en atténuer les effets.
Comme la vaste majorité des pays du continent africain, elle ne contribue que marginalement à l’effet de serre. Le pays devrait être confronté à l’horizon 2050 à l’effet combiné de la hausse des températures (+2 degrés Celsius), de la variation des précipitations (-9 % en mai et +9 % en octobre) et de la montée des eaux des océans (30 cm). Le développement économique et le climat sont inextricablement liés : sans mesures adéquates, le changement et la variabilité climatiques mettront en péril les progrès durement acquis depuis quelques décennies et pourraient faire basculer des millions d’Ivoiriens dans la pauvreté. En l’absence d’une étude exhaustive sur l’impact du changement climatique sur l’économie ivoirienne, ce rapport fournit une première approche basée sur des informations parcellaires et en extrapolant les résultats d’études conduites pour d’autres pays ou sur l’ensemble du continent africain. Ainsi, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le changement climatique pourrait faire baisser le PIB de l’ensemble de l’Afrique de 2 à 4 % d’ici 2040 et entre 10 et 25 % en 2100. Pour la Côte d’Ivoire, cela correspondrait à une perte équivalente de 380 à 770 milliards de FCFA. Ces pertes se repartiraient entre le secteur agricole, le capital humain et les infrastructures. Plus grave, le changement climatique pourrait faire basculer dans l’extrême pauvreté 2 % à 6 % de ménages supplémentaires d’ici 2030. Pour la Côte d’Ivoire, ceci correspondrait à près d’1 million de personnes supplémentaires dans une situation d’extrême pauvreté (personnes vivant avec moins de 1,90 dollars par jour) et qui s’ajouteront aux 6 millions de pauvres aujourd’hui. Afin de mieux illustrer les coûts associés au changement climatique, le rapport accorde une attention particulière au secteur du cacao et à l’érosion côtière. Le cacao qui représente 1/3 des exportations du pays et fournit un revenu à plus de 5 millions de personnes, est une des causes majeures de la déforestation (60 % des forêts ont disparu entre 1990 et 2015) dont souffre aujourd’hui la Côte d’Ivoire.
La culture du cacao est aussi mise en danger par l’augmentation progressive des températures qui devrait réduire la fertilité des terres dans les régions traditionnellement agricoles du Sud- Est. Avec un littoral de 566 km, la Côte d’Ivoire est – avec le Nigéria, la Mauritanie, et le Sénégal – l’un des pays d’Afrique de l’Ouest qui possèdent les plus longues côtes. Les plaines côtières recensent près de 7,5 millions d’habitants, soit 30 % de la population ivoirienne et abritent près de 80 % des activités économiques du pays. Aujourd’hui, plus de 2/3 du littoral ivoirien est affecté par des phénomènes d’érosion côtière. Cette perte de terre au profit de la mer a déjà eu des conséquences dramatiques. L’ancienne ville coloniale de Grand-Lahou a maintenant complètement disparu sous l’eau et la ville historique de Grand-Bassam, classée patrimoine culturel mondial de l’UNESCO, est également menacée. La perte des plages et des dunes, qui fournissent une protection naturelle contre les inondations, aggrave les conséquences des submersions marines, qui envahissent les villes et les villages durant les fortes tempêtes. Elle menace aussi l’économie du pays, par son impact potentiel sur les installations industrielles et les infrastructures de premier plan comme la Société ivoirienne de raffinage (SIR), l’Aéroport international d’Abidjan, les Ports autonomes d’Abidjan et de San-Pedro, les routes côtières, les plantations industrielles, ainsi que d’importantes installations hôtelière à Abidjan, Grand-Bassam, Assinie et San-Pedro. Le coût des dommages liés au changement climatique sur la zone côtière n’a pas été estimé de façon exhaustive.
Néanmoins, une étude de cas sur la zone de Port-Bouët (avec une population de 0,4 million d’habitants) a estimé le coût de l’érosion et de la submersion marine pour la seule année de 2015 à 1,4 milliard de francs CFA. L’importance d’agir face aux dangers du réchauffement climatique a été bien comprise par le Gouvernement ivoirien, qui est déjà très actif sur le plan international.
La Côte d’Ivoire est l’un des pays africains qui a présenté une des stratégies de réduction des risques les plus ambitieuses tant à court qu’à plus long terme. Si les coûts d’une telle stratégie étaient importants, ils seraient moindres par rapport à ceux de l’inaction. Par exemple, l’expérience a montré qu’il coûte approximativement 10 fois plus cher de réhabiliter une route mal conçue par rapport aux risques climatiques que d’incorporer ce risque pendant sa construction. Pour être effective, une politique de réduction et d’adaptation requiert l’implication de tous les acteurs. Si l’État peut mettre en place des cadres de références, voir des incitations et des sanctions, la mise en oeuvre de cette stratégie dépendra de l’ensemble des acteurs. Or, aujourd’hui, les acteurs locaux semblent relativement peu engagés en Côte d’Ivoire. L’absence ou la faiblesse des débats publics sur les questions de changement climatique et le peu d’intérêt qu’accorde l’opinion à ce sujet traduit l’idée communément répandue que les effets des changements climatiques se manifesteront dans le futur. Avant tout, il convient de mieux expliquer le changement climatique à la population, notamment ses origines, ses conséquences et les moyens d’adaptation disponibles pour y faire face. Chaque Ivoirien(ne) doit comprendre qu’il ou elle peut améliorer sa relation avec la nature et contribuer à la lutte contre le changement climatique. Cela peut être une personne qui privilégie les transports publics plutôt que d’utiliser sa voiture ou encore une entreprise qui finance un projet de reforestation. Tant la réduction que l’adaptation au changement climatique offrent de nombreux bénéfices et opportunités économiques pour la Côte d’Ivoire. Le coût des technologies propres a chuté et l’Accord de Paris sur le climat en 2015 a envoyé un signal clair aux entreprises et aux investisseurs du monde entier qu’un avenir à faible émission de carbone est possible. Les bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux se sont aussi fortement engagés. Le rapport met l’accent sur : (i) les énergies renouvelables : (ii) l’adaptation de la filière cacao ; (iii) la gestion intégrée du littoral et (iv) la modernisation ainsi que l’adaptabilité du transport routier. Chacun de ces secteurs est amené à jouer un rôle important dans la lutte contre le changement climatique tout en contribuant à la modernisation de l’économie, à la réduction de la pollution, à l’amélioration de la santé des populations, à l’augmentation des revenus de l’État par une meilleure taxation du carbone tout en créant de nouveaux emplois verts.
Source BM https://acrobat.adobe.com/link/review?uri=urn:aaid:scds:US:712385f1-6476-3f2d-a7b9-1febf50d23b4 La Banque mondiale en Côte d'Ivoire Le Groupe de la Banque mondiale s’attache à soutenir le renforcement du capital humain et de la gouvernance ainsi que le développement d’une économie inclusive, tirée par le secteur privé et pourvoyeuse d’emploi pour les jeunes.