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𝐀𝐑𝐂𝐇𝐈𝐕𝐄𝐒 LA VAR / 𝐐𝐮𝐚𝐧𝐝 𝐆𝐛𝐚𝐠𝐛𝐨 𝐨𝐟𝐟𝐫𝐚𝐢𝐭 𝐧𝐨𝐭𝐫𝐞 𝐚𝐯𝐢𝐨𝐧 𝐞𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐯𝐚𝐥𝐢𝐬𝐞𝐬 𝐝'𝐚𝐫𝐠𝐞𝐧𝐭 𝐚̀ 𝐝'𝐨𝐛𝐬𝐜𝐮𝐫𝐬 𝐦𝐞𝐫𝐜𝐞𝐧𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐟𝐫𝐚𝐧𝐜̧𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐭𝐫𝐨𝐢𝐬 𝐭𝐞𝐧𝐭𝐚𝐭𝐢𝐯𝐞𝐬 𝐚𝐯𝐨𝐫𝐭𝐞́𝐞

Spécial 𝐀𝐑𝐂𝐇𝐈𝐕𝐄𝐒  LA VAR / 𝐐𝐮𝐚𝐧𝐝 𝐆𝐛𝐚𝐠𝐛𝐨 𝐨𝐟𝐟𝐫𝐚𝐢𝐭 𝐧𝐨𝐭𝐫𝐞 𝐚𝐯𝐢𝐨𝐧 𝐞𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐯𝐚𝐥𝐢𝐬𝐞𝐬 𝐝'𝐚𝐫𝐠𝐞𝐧𝐭 𝐚̀ 𝐝'𝐨𝐛𝐬𝐜𝐮𝐫𝐬 𝐦𝐞𝐫𝐜𝐞𝐧𝐚𝐢𝐫𝐞𝐬 𝐟𝐫𝐚𝐧𝐜̧𝐚𝐢𝐬 𝐩𝐨𝐮𝐫 𝐭𝐫𝐨𝐢𝐬 𝐭𝐞𝐧𝐭𝐚𝐭𝐢𝐯𝐞𝐬 𝐚𝐯𝐨𝐫𝐭𝐞́𝐞

 

Christian Chesnot et Georges Malbrunot accueillis sur le tarmac de l’aéroport d’Abidjan par un Laurent Gbagbo tout sourires, avant d’être remis aux représentants de la France : ce happy end, scénarisé sur le modèle des otages de Jolo libérés par Mouammar Kadhafi, n’a pas eu lieu. Telle était pourtant l’issue triomphale escomptée par le président ivoirien lorsqu’il a, début septembre, accepté de mettre l’un de ses avions officiels à la disposition de l’« équipe parallèle » constituée par le député français Didier Julia afin d’arracher les deux journalistes des griffes de leurs ravisseurs irakiens. Une mission qui, on le sait, a sombré dans la confusion. Comment et pourquoi Laurent Gbagbo s’est-il laissé entraîner dans une telle galère ?

À l’origine de l’implication ivoirienne dans cette étrange équipée figure un personnage à la fois secret et sulfureux, comme on en rencontre beaucoup ces temps-ci à Abidjan : Mustapha Aziz. Ce Libanais, détenteur de plusieurs passeports (marocain, saoudien et… diplomatique ivoirien), résidant à Paris, navigua un moment dans l’entourage du feu maréchal Mobutu, sans pouvoir réellement s’y implanter. « Il s’intéressait à Savimbi et aux diamants de l’Unita », se souvient un ex-dignitaire zaïrois. Spécialisé dans le commerce des armes, Mustapha Aziz réapparaît à Luanda, du côté du président Dos Santos, puis à Abidjan lorsque le gouvernement Gbagbo cherche désespérément, à partir de la fin 2002, à se procurer du matériel militaire.

Le nom de ce proche du secrétaire général du Congrès juif européen Serge Cwajgenbaum est ainsi cité au coeur du réseau de fourniture d’armes israéliennes à la Côte d’Ivoire, via l’Angola. Rapidement ami de Gbagbo, Aziz persuade ce dernier de le nommer conseiller diplomatique au sein de la délégation ivoirienne à l’Unesco, dont le siège se trouve à Paris. Les Français, qui ne veulent pas d’une nouvelle affaire Falcone, renâclent. Mais le président ivoirien insiste personnellement. C’est sur ces entrefaites – nous sommes alors fin août 2004 – qu’éclate l’affaire des otages français en Irak.

Mustapha Aziz, qui a quelques relations du côté des chefs tribaux du triangle sunnite, entre en contact avec un certain Philippe Evano. Ce professeur d’histoire à la Sorbonne, très à droite, ancien membre de la galaxie de Jacques Foccart et qui tenta un moment de se faire coopter au sein du cabinet de Xavier Darcos, à l’époque où ce dernier était ministre délégué à l’Enseignement scolaire, est un proche du député UMP Didier Julia. Agrégé de philosophie et élu de Fontainebleau depuis… 1967 (une sorte de record), Julia est l’une des figures de proue du lobby pro-irakien en France. Aziz et lui se rejoignent dans un projet commun : libérer les otages en dehors des canaux officiels. Chacun en tirera ensuite les bénéfices qui lui conviennent.

Reste à trouver la logistique, c’est-à-dire l’argent et l’avion. Mustapha Aziz, dont l’interface à Abidjan n’est autre que le pasteur évangéliste Moïse Koré, un Bété de 42 ans, conseiller spirituel et homme de confiance de Laurent Gbagbo, grand acheteur d’armes devant l’Éternel, pense immédiatement au président ivoirien. Lors d’une rencontre à Abidjan, tout début septembre, Aziz et Koré lui mettent le marché entre les mains : un avion en échange des substantiels dividendes que lui procurera, en termes d’image et de relations avec la France, sa participation à la libération des journalistes otages.

Qualifiant son geste d’« humanitaire », Laurent Gbagbo dira plus tard avoir simplement voulu « rendre service à la France ». Faut-il le croire ? À peine méfiant, Gbagbo demande tout de même à ses interlocuteurs si « l’Élysée est au courant ». « Oui », lui répond-on. Lui a-t-on assuré ce que l’on raconte dans le sillage d’Aziz – et qui est faux -, à savoir que ce dernier est un proche de Claude Chirac et de Michèle Alliot-Marie ? Peut-être. 𝗧𝗼𝘂𝗷𝗼𝘂𝗿𝘀 𝗲𝘀𝘁-𝗶𝗹 𝗾𝘂’𝗮𝘃𝗲𝗰 𝘂𝗻𝗲 𝗲́𝘁𝗼𝗻𝗻𝗮𝗻𝘁𝗲 𝗻𝗮𝗶̈𝘃𝗲𝘁𝗲́, 𝗟𝗮𝘂𝗿𝗲𝗻𝘁 𝗚𝗯𝗮𝗴𝗯𝗼 𝗻𝗲 𝘃𝗲́𝗿𝗶𝗳𝗶𝗲 𝗿𝗶𝗲𝗻. 𝗡𝗶 𝗹’𝗮𝗺𝗯𝗮𝘀𝘀𝗮𝗱𝗲𝘂𝗿 𝗱𝗲 𝗙𝗿𝗮𝗻𝗰𝗲 𝗮̀ 𝗔𝗯𝗶𝗱𝗷𝗮𝗻, 𝗻𝗶 𝗹’𝗘́𝗹𝘆𝘀𝗲́𝗲, 𝗻𝗶 𝗹𝗲 𝗤𝘂𝗮𝗶 𝗱’𝗢𝗿𝘀𝗮𝘆 𝗻𝗲 𝘀𝗼𝗻𝘁 𝗺𝗶𝘀 𝗮̀ 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗶𝗯𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗽𝗼𝘂𝗿 𝗰𝗼𝗿𝗿𝗼𝗯𝗼𝗿𝗲𝗿 𝗹𝗲𝘀 𝗱𝗶𝗿𝗲𝘀 𝗱𝗲 𝗠𝘂𝘀𝘁𝗮𝗽𝗵𝗮 𝗔𝘇𝗶𝘇.

« Certes, le président ivoirien est tout sauf méthodique, il n’a ni carnet ni stylo, mais là, tout de même… », soupire l’un des pivots de la politique africaine de la France. Le « coup » est vendu. 𝗔𝘂𝘀𝘀𝗶𝘁𝗼̂𝘁, 𝗹’𝘂𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝘁𝗿𝗼𝗶𝘀 𝗷𝗲𝘁𝘀 𝗚𝗿𝘂𝗺𝗺𝗮𝗻 𝗚𝟯 𝗱𝘂 𝗽𝗮𝗿𝗰 𝗮𝗲́𝗿𝗶𝗲𝗻 𝗽𝗿𝗲́𝘀𝗶𝗱𝗲𝗻𝘁𝗶𝗲𝗹 𝗶𝘃𝗼𝗶𝗿𝗶𝗲𝗻 𝗲𝘀𝘁 𝗺𝗶𝘀 𝗮̀ 𝗹𝗮 𝗱𝗶𝘀𝗽𝗼𝘀𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 𝗗𝗶𝗱𝗶𝗲𝗿 𝗝𝘂𝗹𝗶𝗮 (𝗾𝘂𝗶 𝗹𝗲 𝘀𝘂𝗿𝗻𝗼𝗺𝗺𝗲𝗿𝗮 𝗽𝗼𝗲́𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 « 𝗺𝗼𝗻 𝘁𝗮𝗽𝗶𝘀 𝘃𝗼𝗹𝗮𝗻𝘁 »), 𝗱𝗲 𝗠𝘂𝘀𝘁𝗮𝗽𝗵𝗮 𝗔𝘇𝗶𝘇 𝗲𝘁 𝗱𝗲 𝗹𝗲𝘂𝗿𝘀 𝗰𝗼𝗺𝗽𝗮𝗴𝗻𝗼𝗻𝘀. 𝗨𝗻 𝗽𝗿𝗲𝗺𝗶𝗲𝗿 𝘃𝗼𝘆𝗮𝗴𝗲 𝗔𝗯𝗶𝗱𝗷𝗮𝗻-𝗟𝗲 𝗕𝗼𝘂𝗿𝗴𝗲𝘁-𝗟𝗲 𝗖𝗮𝗶𝗿𝗲-𝗔𝗺𝗺𝗮𝗻 𝗮 𝗹𝗶𝗲𝘂 𝗱𝗲̀𝘀 𝗹𝗲 𝟱 𝘀𝗲𝗽𝘁𝗲𝗺𝗯𝗿𝗲, 𝘂𝗻 𝘀𝗲𝗰𝗼𝗻𝗱 𝗹𝗲 𝟭𝟬, 𝘂𝗻 𝘁𝗿𝗼𝗶𝘀𝗶𝗲̀𝗺𝗲 𝗹𝗲 𝟮𝟮. 𝗟𝗲 𝗺𝗮𝗿𝗱𝗶 𝟮𝟴 𝘀𝗲𝗽𝘁𝗲𝗺𝗯𝗿𝗲, 𝗮𝗶𝗻𝘀𝗶 𝗾𝘂𝗲 𝗹𝗲 𝗿𝗮𝗰𝗼𝗻𝘁𝗲 𝗹’𝗲𝗻𝗾𝘂𝗲̂𝘁𝗲 𝗱𝘂 𝗾𝘂𝗼𝘁𝗶𝗱𝗶𝗲𝗻 𝗟𝗲 𝗠𝗼𝗻𝗱𝗲, 𝗱𝗲 𝘃𝗶𝗼𝗹𝗲𝗻𝘁𝗲𝘀 𝗱𝗶𝘀𝘀𝗲𝗻𝘀𝗶𝗼𝗻𝘀 𝗲́𝗰𝗹𝗮𝘁𝗲𝗻𝘁 𝗲𝗻𝘁𝗿𝗲 𝗔𝘇𝗶𝘇 𝗲𝘁 𝗝𝘂𝗹𝗶𝗮.

Reste à savoir pourquoi. 𝗨𝗻𝗲 𝗽𝗿𝗲𝗺𝗶𝗲̀𝗿𝗲 𝘃𝗲𝗿𝘀𝗶𝗼𝗻 𝘃𝗲𝘂𝘁 𝗾𝘂𝗲 𝗹’𝗼𝗻 𝘀𝗲 𝘀𝗼𝗶𝘁 𝗱𝗶𝘀𝗽𝘂𝘁𝗲́ 𝗹𝗲𝘀 « 𝘃𝗮𝗹𝗶𝘀𝗲𝘀 𝗱’𝗮𝗿𝗴𝗲𝗻𝘁 » (𝗹’𝗲𝘅𝗽𝗿𝗲𝘀𝘀𝗶𝗼𝗻 𝗲𝘀𝘁 𝗱𝗲 𝗗𝗶𝗱𝗶𝗲𝗿 𝗝𝘂𝗹𝗶𝗮) 𝗾𝘂𝗲 𝗠𝘂𝘀𝘁𝗮𝗽𝗵𝗮 𝗔𝘇𝗶𝘇 𝗮𝘂𝗿𝗮𝗶𝘁 𝗲𝗺𝗯𝗮𝗿𝗾𝘂𝗲́𝗲𝘀 𝗮̀ 𝗯𝗼𝗿𝗱 𝗮𝗳𝗶𝗻 𝗱𝗲 𝗽𝗮𝘆𝗲𝗿 𝗹𝗲 𝗰𝗮𝗿𝗯𝘂𝗿𝗮𝗻𝘁, 𝗹𝗮 𝗹𝗼𝗴𝗶𝘀𝘁𝗶𝗾𝘂𝗲 𝗲𝘁 𝘂𝗻𝗲 𝗲́𝘃𝗲𝗻𝘁𝘂𝗲𝗹𝗹𝗲 𝗿𝗮𝗻𝗰̧𝗼𝗻. Une autre, plus plausible, fait état d’un désaccord à propos de l’escale d’Abidjan, la partie française souhaitant un retour direct sur Paris avec les otages libérés en évitant le détour par la Côte d’Ivoire. Affolé, l’un des membres de l’expédition, Philippe Evano, cherche depuis Damas à joindre les autorités françaises, afin qu’à leur tour elles interviennent auprès de Laurent Gbagbo pour qu’il calme Mustapha Aziz. Mais il n’a de contacts ni avec Michel de Bonnecorse, le « monsieur Afrique » de l’Élysée, ni avec Nathalie Delapalme, la « madame Afrique » du Quai d’Orsay.

Evano joint donc un ami commun, l’ancien sénateur des Bouches-du-Rhône Jean-Pierre Camoin, 62 ans, membre du Conseil économique et social. Franc-maçon, médecin dermatologue et missi dominici en Afrique d’un grand laboratoire pharmaceutique, Camoin a ses entrées à Bangui et à Abidjan. Il a l’avantage d’être proche à la fois de Laurent Gbagbo – dont il est l’un des lobbyistes – et de Jacques Chirac. Il transmet, donc, le message d’Evano auprès de Bonnecorse et de Delapalme, lesquels découvrent l’implication ivoirienne dans cette affaire à l’occasion de son coup de fil.

Aussi étonnant que cela puisse paraître en effet, si l’on en croit les principaux intéressés, la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) n’aurait établi aucune « note blanche » informant l’exécutif des passages par Le Bourget de l’avion présidentiel ivoirien.

La suite est connue. La mission Julia échoue – tout au moins dans l’immédiat -, et le député rentre à Paris, le 4 octobre au soir, sans les otages. Aucune explication n’aura lieu entre les présidences française et ivoirienne avant le 8 octobre. Ce jour-là, le directeur de cabinet de Laurent Gbagbo, Paul David N’Zi, était reçu dans une annexe du « château » et, l’après-midi même, le chef de l’État ivoirien recevait un appel de l’Élysée. Pour s’entendre dire avec un brin d’ironie que, contrairement à son camarade socialiste François Hollande, son homologue français ne le jugeait pas, lui, « infréquentable ». Mais qu’il fallait tout de même qu’à l’avenir il se méfie un peu plus des marchands d’illusions et des faux missionnaires.

𝐉𝐞𝐮𝐧𝐞 𝐀𝐟𝐫𝐢𝐪𝐮𝐞

𝐏𝐮𝐛𝐥𝐢𝐞́ 𝐥𝐞 𝟏𝟏 𝐨𝐜𝐭𝐨𝐛𝐫𝐞 𝟐𝟎𝟎𝟒

𝐋𝐞𝐜𝐭𝐮𝐫𝐞 : 𝟓 𝐦𝐢𝐧𝐮𝐭𝐞𝐬.

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Dernière modification lemercredi, 30 octobre 2024 13:03