Par Venance KONAN / Que lui avions-nous fait pour que, pendant plus de vingt ans, il nous ignore, nous ses compatriotes et son pays, aussi cavalièrement ?
Simples questions
Il y a des questions concernant le nouveau messie de nos amis du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) qui ont le don d’irriter ses adorateurs, mais qu’ils ne peuvent pas éluder, parce qu’il s’agit de confier le sort de notre pays à un individu. M. Tidjane Thiam alias Tithi et ses thuriféraires nous ressassent, à longueur d’articles dans les journaux qui leur sont proches, qu’il est un génie, aussi bien de la finance que de la politique, qu’il connaît tous ceux qui ont du pouvoir et dirigent les plus grandes entreprises dans ce monde, que Barack Obama lui écrit des lettres d’admiration, qu’il fait des selfies avec les géants de la Silicon Valley qui viendront bientôt s’installer en Côte d’Ivoire, bref, qu’avec lui, notre pays fera des pas de géant sur la voie de son développement. Je veux bien croire à tout cela, mais j’aimerais cependant qu’ils répondent, sans insulter, à ces simples questions.
Que lui avions-nous fait pour que, pendant plus de vingt ans, il nous ignore, nous ses compatriotes et son pays, aussi cavalièrement ?
Je comprends bien qu’après le coup d’Etat qui avait renversé le pouvoir dont il était un des ministres, il ait été fâché avec la Côte d’Ivoire et qu’il ait été se chercher ailleurs. Je comprends qu’il ait été très occupé à faire la carrière que nous lui connaissons dans quelques-unes des plus grandes institutions financières du monde.
Mais, se fâcher avec son pays pendant plus de vingt ans ?
Ce pays dont il veut qu’on lui confie la destinée aujourd’hui ?
En 2000, peu de temps après son départ, il y eut les élections calamiteuses qui portèrent Gbagbo au pouvoir dans le sang. Des femmes furent arrêtées, battues, violées. Il n’en dit pas un seul mot. En 2002, le pays fut coupé en deux par une rébellion. Pendant huit ans il y eut des morts des atrocités, des escadrons de la mort, des personnes enfermées dans des conteneurs jusqu’à ce que mort s’ensuive. En 2004 Laurent Gbagbo fit tuer au moins une centaine de militants (selon l’ONU) de son opposition composée essentiellement du PDCI et du RDR d’alors, parce qu’ils réclamaient l’application des accords censés sortir le pays de sa crise. Aucune compassion de la part de Tithi. Toutes les bonnes volontés ivoiriennes et tous ceux qui s’intéressaient de près ou de loin à notre pays s’investirent pour l’aider à se sortir de cette très mauvaise passe.
A aucun moment on n’entendit la voix de Tithi. Ni pour proposer des solutions, ni pour compatir, ni pour encourager les Ivoiriens, rien. Il n’était pas concerné par cette histoire. En 2010 il y eut des élections dont la suite fut encore plus calamiteuse qu’en 2000. Gbagbo, battu dans les urnes, refusa de céder le pouvoir. Il y eut ceux qui le soutenaient, et ceux qui soutenaient le vrai vainqueur. Tithi ne se sentit toujours pas concerné. A partir de 2011, la Côte d’Ivoire changea de visage. Elle commença à se reconstruire, à se doter de nouvelles infrastructures, à retrouver sa place de leader régional, à faire rêver, à se faire envier. Rien de tout cela ne sembla concerner Tithi. Pendant ses vingt ans d’absence, il nous arriva bien de malheurs. Pas un seul mot de condoléances. Il nous arriva des bonheurs aussi. Tels que la Coupe d’Afrique de football en 2015. Pas un seul mot de félicitations. Ne me parlez pas de devoir de réserve. Disons simplement qu’il avait tiré un trait sur la Côte d’Ivoire. Plus rien concernant ce pays ne l’intéressait désormais.
Que s’est-il donc passé pour qu’à partir de 2023 Tithi estime qu’on devrait maintenant lui confier les rênes de notre pays ?
Le fait qu’il ait perdu son poste au Crédit Suisse qui a fait faillite après lui et qu’on ne lui ait pas fait d’offre du même calibre ?
Le fait qu’il n’ait pas pu entrer dans le gouvernement de M. Macron ?
Le fait que le décès de M. Bédié lui a offert une opportunité de se hisser au plus haut sommet de son parti et, partant, de ce pays ?
Mission commandée ? Je suis désolé, mais des gens comme Jean Louis Billon ont raison de se rebiffer. Ils étaient ici, eux. Ils ont mouillé le maillot et souffert pour leur parti, pour empêcher qu’il ne sombre, eux. Billon aspirait aussi à diriger ce pays et s’y préparait depuis des années. Certains, comme Guikahué, ont goûté de la prison en 2020, à la suite de l’appel à la désobéissance civile lancée par le président Bédié et qui a coûté la vie à des dizaines de personnes. Ils ont vécu les malheurs et bonheurs de ce pays pendant ces vingt ans. Ils ont participé à sa marche, en y travaillant, en y investissant, en y transpirant, en y payant des impôts, en donnant du travail à des Ivoiriens. Nos amis du PDCI ne trouvent-ils pas insultant pour eux qui ont versé leur sang pour que leur parti survive, que quelqu’un qui l’a aussi royalement ignoré, de même que son propre pays durant toutes ces années, vienne se positionner de cette manière à sa tête, en en enjambant les textes, en méprisant ceux qui ont tenu ce parti à bout de bras ?
Je pense pour ma part que si Tithi a découvert qu’il a un autre pays qui s’appelle la Côte d’Ivoire et qu’il veut le servir à nouveau, il devrait se faire humble, expliquer pourquoi il s’en était détourné, se faire pardonner, se mettre dans les rangs et attendre son heure. Qu’il se donne le temps de bien connaître à nouveau son pays et ses compatriotes qui ont bien changé pendant son absence. Il a encore du temps devant lui.
Venance Konan
- Publié dans Infos Ivoiriennes