A Abidjan, Zoro veut faire de la République des hommes d’affaires la République des « hommes intègres ». / Par Jean-Pierre Béjot, fondateur de La Dépêche Diplomatique
- Écrit par Adama
- Publié dans Infos Ivoiriennes
Au temps de Félix Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire était la République des planteurs. Henri Konan Bédié avait tenté d’en faire une République « ivoiritaire ». Laurent Gbagbo l’avait transformée, un temps, en République des professeurs.
Quant à Alassane D. Ouattara il en a fait, tout naturellement venant d’où il venait, la République des financiers et des hommes d’affaires. Mais, depuis la mise en route de son troisième mandat présidentiel (le premier dans le cadre de la nouvelle Constitution), c’est le problème de la corruption ordinaire qui est sa préoccupation. Problème dont la résolution a été confiée à Epiphane Zoro Bi Ballo. Le juge – qui s’est illustré en 1999 en établissant, à la veille de la chute de Bédié, un certificat de nationalité à Ouattara – veut faire de la Côte d’Ivoire la République des « hommes intègres » et de « l’administration performante ». Rude tâche !
*On ne l’avait pas revu sur le devant de la scène politique ivoirienne depuis plusieurs années. Dans le premier gouvernement sous la responsabilité de Patrick Achi (mardi 6 avril 2021), Epiphane Zoro Bi Ballo figure en 25è position comme ministre de la Promotion de la bonne gouvernance, du Renforcement des capacités et de la Lutte contre la corruption (il était déjà secrétaire d’Etat au Renforcement des capacités depuis 2019).
Après le tourisme et les loisirs ; devant l’économie numérique, les télécommunications et l’innovation. Un intitulé de portefeuille qui ne semblait recouvrir qu’une opération de « com » d’autant plus que son titulaire se voyait là récompenser de son action menée en pleine période de tensions « ivoiritaires ». En 1999, il a pris ses responsabilités Epiphane Zoro Bi Ballo était sorti de l’ombre en 1999 – il avait alors 31 ans – alors que, « petit juge », il avait attribué un certificat de nationalité (1 parmi 12.000 signés au cours de l’année, précisera-t-il par la suite) au nom de Alassane D. Ouattara. Le 1er août 1999, Ouattara venait de quitter son job de directeur général adjoint du FMI et avait été porté à la présidence du Rassemblement des Républicains (RDR). Il était ainsi candidat à la présidentielle d’octobre 2000 face au sortant : Henri Konan Bédié. Il avait donc déposé une demande de certificat de nationalité au lieu de sa naissance : Dimbokro. Le 28 septembre 1999, Zoro Bi Ballo, qui savait la polémique qui ne cessait d’être développée autour de la nationalité de Ouattara, a « cru devoir prendre [ses] responsabilités de juge du siège pour accéder à [cette] demande ». L’hystérie, qui s’était emparée de la présidence de la République de Côte d’Ivoire et de ses séides depuis bien des mois déjà, va atteindre son paroxysme. Le pouvoir voudra faire céder Zoro Bi Ballo. Celui-ci, arguant de l’indépendance de la justice, refusera de se soumettre et quittera clandestinement, via le Mali, son pays, le 8 novembre 1999 avant de s’envoler pour Paris deux jours plus tard grâce au soutien de la Fédération internationale des droits de l’homme.
5/ On connaît la suite : le 24 décembre 1999, Bédié sera renversé par un coup de force militaire qui portera au pouvoir le général Robert Gueï. Celui-ci, à son tour, va enfourcher le cheval boiteux et borgne de « l’ivoirité » avant de se faire confisquer sa monture par le « socialiste » Laurent Gbagbo. Les uns et les autres n’ayant qu’une seule obsession : empêcher Ouattara d’être candidat à la présidentielle !
Il dénoncera une société immorale et sans principe Epiphane Zoro Bi Ballo deviendra l’homme par lequel le scandale est arrivé. Il est né le 11 janvier 1968, à Sinfra (dont il sera le député RHDP en 2016 et en 2021) dans la région de la Marahoué (dont la « capitale » est Bouaflé, au centre de la Côte d’Ivoire) et dira avoir appartenu à la « génération sacrifiée », « celle des années 90, années de désillusion et de désespoir pour la jeunesse ». Il précisera dans un livre publié en 2004 (« Juge en Côte d’Ivoire » – éditions Karthala) : « Toutes les facilités matérielles et sociales, dont les bus de transport en commun, avaient été supprimées au fur et à mesure par le gouvernement dit de restructuration dirigé alors par le Premier ministre Alassane Ouattara ». Zoro Bi Ballo est le fils d’un instituteur père de treize enfants. Il a été, dira-t-il, fan de l’écrivain guinéen Camara Laye (auteur notamment de « L’Enfant noir »), fasciné par l’anarchiste russe Bakounine, lecteur de Jean-Jacques Rousseau, charmé par Socrate et admirateur de Martin Luther King.
Il voulait « servir Dieu » et débutera comme « pasteur de cellule » au sein de sa congrégation.
« Je crois, écrira-t-il en 2004, avec Luther King, que la seule façon pour le chrétien d’aujourd’hui de s’opposer à une société immorale et sans principe, comme celle au sein de laquelle nous vivons, reste de combiner spiritualité et réalisme, en établissant un compromis intelligent entre religion et politique ». A l’université, il choisira le droit plutôt que la philo, refusera l’embrigadement au sein de la Fesci, le tout puissant syndicat étudiant des années 1990 (dirigé alors par Guillaume Soro puis Charles Blé Goudé), revendiquant être « pacifiste et non violent ». C’est après avoir décroché une maîtrise de droit public que Zoro Bi Ballo va être nommé juge à Dimbokro. Mais, rapidement, il prendra conscience des limites de son action et des conditions déplorables dans lesquelles se trouvent la justice et, du même coup, les justiciables. La motivation n’est plus là ; le dégoût et la lassitude l’emportent. Il va poser sa démission. Le garde des sceaux de l’époque, ministre de la Justice et des Droits de l’homme (Jean Brou Kouakou, en poste depuis 1998) lui proposera alors d’être nommé sous-directeur de l’éducation surveillée.
Nous sommes en juillet 1999. Il est prévu que Zoro Bi Ballo rejoindra son poste, au ministère de la Justice, en octobre 1999. Il n’ira jamais à Abidjan. Quelques jours avant de quitter Dimbokro, il signera le certificat de nationalité de Alassane D. Ouattara et se retrouvera rapidement radié de l’Ordre des magistrats.
L’exil en Europe puis l’international en RDC Echappé de Côte d’Ivoire, Epiphane Zoro Bi Ballo va s’investir dans la défense des droits de l’homme et préparera un DES sur cette problématique à Bruxelles, à l’Université Saint-Louis (université catholique), devenant le symbole de la résistance à un pouvoir qui « a cru devoir utiliser la question identitaire et religieuse pour s’assurer une assise électorale et assurer [sa] survie politique ».
5/Avant de regagner la Côte d’Ivoire en 2012, au lendemain de la victoire de Alassane D. Ouattara à la présidentielle, il aura mené une carrière internationale en RDC dans le cadre du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme et sera nommé expert juridique auprès de la CPI. De 2012 à 2017, il s’occupera de la francophonie dans le cadre de l’administration publique ivoirienne. En 2017, il sera nommé secrétaire national au Renforcement des capacités, politique qui vise à améliorer la gouvernance de l’administration et du secteur public. Lutter contre la corruption pour rendre l’administration efficiente Aujourd’hui, Epiphane Zoro Bi Ballo, ministre de la Promotion de la bonne gouvernance, du renforcement des capacités et de la Lutte contre la corruption, veut « assainir » les services publics de la République de Côte d’Ivoire en multipliant les « opérations coup de poing ».
Il dénonce les « pots de vin », les « facilitateurs », les « extorsions de fonds », les « tracasseries » organisées sur les routes et dans les villes, toutes les opérations douteuses liées à l’orientation des élèves, à l’accès aux médicaments, à l’obtention des permis de conduire, « toutes formes de corruption parmi les plus pernicieuses ». Il veut une République des « hommes intègres » avec une administration intègre elle aussi mais également « performante ».
« L’Etat vous voit » dit-il en direction des corrupteurs et des corrompus. Voir est une chose ; appréhender et sanctionner c’est autre chose. C’est le job de la police et de la justice. Reste à savoir si l’une et l’autre ont la même motivation que Zoro Bi Ballo. C’est non seulement l’amélioration de l’efficience de l’administration publique qui est visée par Zoro Bi Ballo mais 6 aussi une plus grande transparence dans son action et ses décisions et, du même coup, une réelle équité. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui (et c’était déjà la situation qui prévalait hier et avant-hier !). D’où une fracture sociale qui ne cesse de s’élargir en Côte d’Ivoire (fracture d’autant plus visible que la croissance économique est forte et soutenue) et que la nécessaire numérisation des activités administratives risque fort de rendre irréparable et, du même coup, irrémissible. Il n’est jamais facile de passer de la République des hommes d’affaires à
« L’Etat vous voit » dit-il en direction des corrupteurs et des corrompus. Voir est une chose ; appréhender et sanctionner c’est autre chose.
C’est le job de la police et de la justice. Reste à savoir si l’une et l’autre ont la même motivation que Zoro Bi Ballo. C’est non seulement l’amélioration de l’efficience de l’administration publique qui est visée par Zoro Bi Ballo mais 6 aussi une plus grande transparence dans son action et ses décisions et, du même coup, une réelle équité. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui (et c’était déjà la situation qui prévalait hier et avant-hier !). D’où une fracture sociale qui ne cesse de s’élargir en Côte d’Ivoire (fracture d’autant plus visible que la croissance économique est forte et soutenue) et que la nécessaire numérisation des activités administratives risque fort de rendre irréparable et, du même coup, irrémissible. Il n’est jamais facile de passer de la République des hommes d’affaires à la République des hommes intègres ! Et plus encore que l’intégrité ne soit pas qu’un slogan.
Par : Jean-Pierre Béjot La ferme de Malassis (France) 30 septembre 2021
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