"Pour lutter contre la corruption, il faut protéger les lanceurs d’alerte"
Épiphane Zoro Bi Ballo, l’atout anticorruption d’Alassane Ouattara Depuis sa nomination comme ministre de la Promotion de la bonne gouvernance en avril 2021, l’ancien magistrat multiplie les mesures pour tenter d’endiguer la corruption.
Un fléau qui n’épargne aucun secteur. Au programme : audits, contrôles, plateforme de surveillance…
Décryptage.
Obtenir rapidement un document administratif sans devoir suivre les procédures classiques ? Intégrer une école sans avoir à passer par la case concours ? Bénéficier en priorité de poches de sang dans un hôpital ? Acquérir un terrain ?…
À ces questions, les Ivoiriens ne le savent que trop bien, la seule réponse qui vaille tient souvent à une poignée de billets.
Par où commencer ? Pour tenter de mettre fin à ces pratiques devenues la norme, qui n’épargnent aucun secteur d’activité, affectent les services publics comme les sociétés privées, ainsi que les finances de l’État, le président Alassane Ouattara a, en avril 2021, doté le gouvernement d’un ministère de la Promotion de la bonne gouvernance, du Renforcement des capacités et de la Lutte contre la corruption – dont il a fait l’une des priorités de son troisième mandat.
À sa tête, le chef de l’État a placé un ex-magistrat chevronné, Épiphane Zoro Bi Ballo, dont la mission est autant de soulager les citoyens, dont le quotidien est littéralement « miné » par cette corruption tenace, que d’apporter des garanties aux partenaires internationaux, inquiets de la persistance de ce fléau. Un peu plus de 40 % des Ivoiriens interrogés en 2020 dans le cadre d’une étude de l’ONG Transparency International estimaient que le niveau de corruption avait même empiré par rapport à l’année 2019.
Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara veut accentuer la surveillance des entreprises publiques Alors, par où commencer ? Ancien expert juridique auprès de la Cour pénale internationale (CPI), Épiphane Zoro Bi Ballo, 55 ans, s’est vu confier, dès son arrivée à la tête du nouveau ministère, « l’opération mains propres » souhaitée par le chef de l’État.
Premières cibles : les entreprises publiques Premières ciblées : les entreprises publiques et parapubliques « avec des responsabilités clés dans la mise en œuvre de la politique de développement ». Les audits réalisés dans ces sociétés ont conduit à l’éviction de plusieurs directeurs généraux, ainsi que de responsables administratifs ou financiers. C’est le cas, notamment, au Fonds d’entretien routier (FER), à l’Agence de gestion foncière (Agef), à la Nouvelle pharmacie de la santé publique (NPSP) et à l’Autorité de régulation des télécommunications en Côte d’Ivoire (ARTCI). Les enquêtes pénales ont été confiées au pôle pénal économique et financier. Et d’autres audits sont en cours.
À l’UA, corruption et copinage au menu de la réunion des ministres des Affaires étrangères Dans le secteur de la santé, très touché par la corruption, avec souvent des conséquences tragiques, 14 structures sanitaires ont été épinglées à la suite des investigations, dont onze établissements publics et trois privés, tous dans le district d’Abidjan.
« À l’issue de ces procédures, nous avons constaté une faiblesse générale en matière de bonne gouvernance », reconnaît Épiphane Zoro Bi Ballo, conscient de l’ampleur de la tâche. Connu pour avoir signé, en 1999, le certificat de nationalité d’Alassane Ouattara (dont la candidature à la présidentielle de 2000 a finalement été écartée pour « nationalité douteuse ») – ce qui lui vaudra d’être radié de l’Ordre des magistrats et de devoir s’exiler jusqu’en 2011 -, l’ancien juge, fondateur du Mouvement ivoirien des droits humains (Midh), en est convaincu : seule une meilleure prévention permettra de contrer efficacement ce phénomène, dont tout le monde semble s’être accommodé.
Prévention et protection En collaboration avec le ministère de l’Économie et des Finances, celui du Budget, et les représentants du patronat, Épiphane Zoro Bi Ballo entend donc soumettre les entités publiques et privées à l’obligation de mettre en place des dispositifs de conformité anticorruption, dont le contrôle sera réalisé par un Bureau national de conformité. Ces dispositifs prévoient la mise en place, notamment, d’une politique de gestion des conflits d’intérêt, ainsi que d’un système d’alerte interne pour les témoins de malversations.
Le gouvernement s’est par ailleurs doté d’une plateforme de surveillance nommée Système de prévention et de détection des actes de corruption et infractions assimilées (Spacia). Lancée par le Premier ministre, Patrick Achi, en juillet 2022, ce nouvel outil permet aux Ivoiriens de dénoncer facilement les actes de corruption dont ils sont victimes, tous secteurs d’activités confondus, via internet ou en appelant un numéro Vert, le 1345.
Côte d’Ivoire : au tribunal militaire, la petite corruption à la barre « Cette plateforme est une innovation majeure », souligne Épiphane Zoro Bi Ballo. Depuis sa mise en place, en juillet 2022, jusqu’à janvier dernier, 519 cas de corruption ont été signalés, dont la plupart dans les secteurs de la défense et de la sécurité (avec de nombreux cas de racket routier), de l’habitat et de la construction, ainsi que de la santé. « À chaque signalement, nous menons nous-mêmes des opérations de vérifications. Jusqu’à présent, 76 missions ont été réalisées, 19 fonctionnaires et agents de l’État ont été suspendus ou révoqués, et une quarantaine d’agents de police ont été traduits devant le tribunal militaire », poursuit le ministre.
Il se dit pleinement conscient « des énormes attentes de [ses] concitoyens » et les encourage à dénoncer les faits de corruption en leur promettant l’anonymat. Par ailleurs, en partenariat avec le bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), son ministère travaille au développement d’une politique de protection des lanceurs d’alerte.
Premiers résultats Mais comment lutter contre la corruption quand la justice elle-même est parfois suspectée de malversations et souffre d’un manque de moyens humains et financiers pour mener à bien sa mission ? Zoro Bi Ballo, auteur du livre Juge en Côte d’Ivoire : désarmer la violence (publié en 2004 aux éditions Karthala), balaie la question. « Beaucoup d’efforts ont été fournis pour recruter des magistrats avec de plus en plus de formations spécifiques, y compris sur la question de la transparence et de la lutte contre la corruption. Et des réformes ont été menées », affirme-t-il.
pour lutter contre la corruption, il faut protéger les lanceurs d’alerte
Les actions du ministère de la Promotion de la bonne gouvernance commencent à produire des premiers résultats encourageants. La Côte d’Ivoire, qui accueille, à la mi-juin 2023, le Forum de l’Alliance internationale anticorruption de la Banque mondiale (dont c’est la première édition qui se déroule en Afrique), progresse d’un point, de 2021 à 2022, dans le rapport annuel sur l’Indice de perception de la corruption (IPC) publié par Transparency International : elle gagne ainsi six places au classement mondial, pour passer du 105e au 99e rang sur 180 pays étudiés.
Conjointement à son portefeuille ministériel, Épiphane Zoro Bi Ballo est actuellement en campagne.
Élu député de Sinfra (Centre-ouest), sa ville natale, en 2016, il est aujourd’hui le coordonnateur du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, parti présidentiel) dans la région de Marahoué, où il est candidat aux élections régionales du 2 septembre prochain.
Par Florence Richard Mis à jour le 4 juin 2023 à 10:13 Source Jeune Afrique